Tout au long des semaines qui viennent, chaque vendredi, retrouvez sous la plume de Drexl l’histoire à peine romancée d’un cinéaste hors norme… L’histoire de Jean-Marie Pallardy.
1998 – Mookie
Il s’était juré de ne jamais se laisser plus d’une décennie sans tourner, mais les éléments jouent contre lui. Histoire d’arranger le tableau, il entre dans cette période de sa vie où les proches disparaissent les uns après les autres, la farandole macabre ne faisant que s’allonger. Jean-Marie reste debout dans les vents contraires qui le balaient de part en part. Il est un reliquat parmi tant d’autres de ce temps révolu où quiconque avec suffisamment de cran pouvait accomplir une œuvre, son œuvre, sans le diktat de quelque freluquet formé à l’école de commerce. Jean-Marie Pallardy, John-Mary Pallody et Boris Pradlay ne sont plus dans le réseau. Ils en sont même tricard, possiblement à vie. Igor Aptekman, lui, fait de la résistance.
A l’arrivée des années 80, Jean-Marie a un fan dans le milieu en la personne d’un jeune acteur, vaguement remarqué pour sa participation à des films comme Délectations, Lâche-moi les Valseuses ou encore Donne ta langue au chat, où il campe l’inévitable rôle du plombier. Hervé Palud (ou Malu, selon son envie) attend chaque film de Pallardy avec anticipation depuis sa première vision de L’Arrière-Train Sifflera Trois Fois. Il aime son style, adore son humour, vénère son hédonisme. Il le poursuit régulièrement de ses assiduités pour écrire des scripts avec lui, mais à l’époque, Jean-Marie ne veut même pas en entendre parler. Personne ne lui dicte quoi que ce soit. Autodidacte il est et restera.
Heureusement, tout le monde n’est pas aussi buté que Jean-Marie. Niels Arestrup répond positivement aux assauts d’Hervé Palud et coécrit avec lui le scénario de sa première réalisation, le petit polar Du blues dans la tête. Un documentaire sur Jacques Mesrine plus tard, et Palud se retrouve avec des ronds en poche. En 1984, le jour de la sortie de Marche à l’Ombre de Michel Blanc, il voit le film quatre fois d’affilée et manque de s’étouffer de rire à sa quatrième vision de la scène du bad trip – il veut, non, il doit prolonger l’expérience, construire tout un film autour de l’hallucinogène. En plus, c’est la mode.
Il appelle une nouvelle fois Jean-Marie, avec la foi chevillée au ventre, tout en sachant que Pallardy est sans nul doute le réalisateur le plus blacklisté de la profession. Il y va la fleur au fusil. Un job simple, bien payé, sous pseudo pour ne pas éveiller l’attention des producteurs. Silence au bout de la ligne. Contre toute attente, au terme de trente bien théâtrales secondes, Jean-Marie finit par accepter.
A la grâce de l’air du temps, Les Frères Pétard cartonne en salles obscures. De la graine de film culte, avec la punchline « C’est énoooooooooooorme » pour la vitrine des kids enfumés. Jean-Marie est à la fois extatique et frustré au dernier degré. Son contrat comme son avenir sont assujettis à cette foutue clause de confidentialité sur son identité. Il a souvent envie de hurler, d’insulter Henri Chapier et Daniel Toscan du Plantier chaque fois qu’il les voit à la télé. Igor Aptekman lui vole son succès, et ça le rend malade.
Mais sur ce coup-là, la prudence avise de rester professionnel. Jean-Marie n’a pas le loisir de refuser des rentrées d’argent. En 1988, Palud ressuscite Aptekman pour deux épisodes de la série Sueurs Froides, ( (Dernier week-end et Le jeu du chat et de la souris ) vague version française de l’anthologie Alfred Hitchcock Présente avec Claude Chabrol dans le rôle du maître de Cérémonie. Quatre ans plus tard, Jean-Marie implore Hervé Palud de laisser venir sur le plateau de La Gamine, juste le temps de serrer la paluche à Johnny Hallyday – merde, après tout, c’est lui qui a eu l’idée de base. Palud négocie comme un pro et pousse son camarade à renoncer. Son secret ? L’immense respect artistique et humain qu’il ressent pour Pallardy, et que Jean-Marie reçoit comme l’extrême onction.
En 1994, le binôme Palud / Aptekman touche le pactole avec Un indien dans la ville, une énième variation autour du thème de prédilection de Jean-Marie Pallardy : l’apprivoisement progressif d’un môme indépendant et formé à la dure par une figure paternelle jusque-là cruellement absente. Le film domine le box-office français crânement, le tube extrait de sa bande originale, l’intolérable Chacun sa route de Tonton David, caracole en tête des charts. Disney rachète à très bon prix les droits d’un remake américain.
Le monstrueux succès du film assure de beaux jours à Jean-Marie, qui a entre temps appris à prendre sur lui, voire à s’amuser de la reconnaissance de son alter ego scénariste. Que Dieu bénisse le droit d’auteur : à chaque diffusion télé, les royalties tombent et offrent à Pallardy le mécénat nécessaire pour tenter de garder sa propre entreprise cinématographique si ce n’est à flots, du moins en mouvement.
Pour l’heure, il est persuadé que le script entamé avec Anthony Quinn a du potentiel. Il harcèle Hervé Palud de coups de téléphone et finit par débouler dans son appartement gentiment cossu, payé par SES idées et SES dialogues. De guerre lasse, Palud s’octroie une heure de pause pour écouter son vieil ami. Non mais sérieusement, Hervé, après toutes ses années, tu ne sens pas le coup en or ? Vraiment ? Un singe qui parle, les mômes vont devenir fous. Tu peux même prévoir gros sur le merchandising, mon garçon. Remake assuré, je te le dis. Rappelle-toi ce que tu me disais sur La Gamine, tu faisais la même tête d’âne constipé (Palud sourit), t’y croyais pas non plus. Et là, t’as même pas besoin de garantie. Mon gars, t’es le réalisateur du plus gros succès du cinéma français de tous les temps (faux, mais ça flatte), tout Paris attend en file indienne pour te pomper le dard jusqu’à la dernière goutte (Hervé se marre).
Toute la quintessence de la geste pallardesque se retrouve concentrée dans cet instant, dans ce monologue. En une tirade d’une dizaine de minutes, Jean-Marie convainc son interlocuteur, un réalisateur revenu de la fange pornographique, reconnu, estimé par ses pairs, de mettre toute sa réputation et sa crédibilité sur l’assurance d’une idée complètement bancale.
De fait, le script de Mookie fuit de tous les côtés. Une suite de gags abstruse, avec pour seul fil conducteur un singe parlant. La prod’ s’inquiète et envoie à la rescousse le scénariste des derniers Claude Zidi, Simon Michaël. Au sortir d’une unique et catastrophique réunion, les deux coscénaristes ne communiquent plus que par mémos incendiaires. Jean-Marie ne se doute pas encore des conséquences de son acte, il pense sincèrement que le projet va exploser les compteurs. Inconsciemment, ou peut-être volontairement, il suicide Igor Aptekman.
Il pensait avoir mangé son pain noir, il est encore loin du compte. Simon Michaël a le bras suffisamment long pour l’interdire de tournage, malgré les promesses d’Hervé ; la pilule a du mal à passer. Il se sent puni, humilié sans aucune raison viable. Il repart en quête de financeurs en Turquie, décroche quelques contrats publicitaires, se fait des contacts. Toujours plus de contacts. Un jour, ils paieront. Ils paieront tous.
Jean-Marie découvre le film en salle, le jour de sa sortie, dans une salle à moitié pleine de mômes hilares et de parents perplexes. Mission accomplie, le public est de son côté. Comme prévu, la critique s’est déchaînée. C’est le lot des artisans populaires : essayez de plaire, et cet animal fourbe aux abois vous mordra la nuque pour ne plus la lâcher. Le premier film d’Eric Cantona, en trio avec Jacques Villeret et un singe parlant ? Pour la meute hurlante, Mookie fait office de sacrifice humain. Toute la profession marque un point d’honneur à s’en donner à cœur joie. Pour Jean-Marie, qui n’a entretenu avec la critique qu’un rapport de saine distance par pur et dur professionnalisme (il a le bourre-pif sélectif), chaque gloussement de la séance est une grenade à fragmentation envoyée à la gueule de cette horde de journalistes aigris à force de juger le travail des autres. Recroquevillé dans son fauteuil, il sourit sous cape. Le bien l’emporte.
2001- Femmes ou maîtresses
La Turquie a toujours apprécié Jean-Marie. En vertu des standards de production extrêmement bas de son cinéma populaire des années 70-80, au gré duquel n’importe qui pouvait empoigner un caméscope, filmer ses potes en train de se filer des tatanes dans le jardin et envoyer le tout à une chaîne de télé pour une diffusion dans la foulée, même un objet aussi foutraque que White Fire fait largement illusion.
Le cinéma turc ne s’est pas institutionnalisé comme son homologue français. Ses cloisons sont perméables, un artisan comme Jean-Marie peut s’y faufiler sans trop d’efforts. Suffit juste d’entretenir le réseau, se rendre disponible, serviable et affable. Sans oligarchie à remonter et faire reluire, le tout est de se rendre utile aux bonnes personnes. Convoyer ce qu’on lui demande entre les frontières, faire disparaître des voitures dans des lacs, parfois pour plusieurs générations d’arsouilleurs, pardon, d’hommes d’affaire, qui un jour, peut-être, lui accorderont l’aumône artistique. En attendant, ça occupe, et ça paie quelques traites.
Il n’abandonne jamais ses désirs ardents de cinéma. Il a sous le coude autant de projets que d’années d’inactivité, du western, du polar, du film pour les gosses, du mélodrame coquinou, des réadaptations soft de ses opus polissons. Il est tombé en désamour avec Pénélope Bistro ; le souvenir des colossales rigolades avec Anthony Quinn ne le fait même plus sourire. Avec le recul, son môme préféré est définitivement La Donneuse. Même s’il peine à revoir le film, par conscience torturée pour sa Willeke, sa logique l’impose comme sa plus belle réussite.
Un soir de biture solitaire, il descend dans sa cave, sa cinémathèque personnelle où s’amoncelle le conséquent fatras de ses progénitures filmiques. Il retrouve ses trois copies 35mm de La Donneuse et passe six heures d’affilée à les dépiauter de ses inserts hard, à la faible lueur de l’ampoule, les doigts tremblants, les yeux vitreux à force de concentration forcenée. Les résidus hardcore sont jetés rageusement dans une bassine en plastique, pile obscène de bites grotesques, de chattes touffues, de nichons replets, des mélanges absurdes de plusieurs corps pour un même personnage – dans une version, Jean-Marie se rend compte qu’il est doublé par un acteur noir.
Un sursaut de lucidité lui évite, de justesse, de finir sa vie dans le brasier de sa filmographie recomposée. Il sort la bassine, referme la porte de ses archives, et très solennellement, jette une allumette au cœur des images fixées de stupre et de luxure. La flamme qui jaillit illico lui lèche le visage, entame ses sourcils et une bonne partie de sa barbe. Ivre, il ne ressent pas la douleur et se sauve miraculeusement de la défiguration. Le temps de réécrire le script de La Donneuse, et sa pilosité faciale a recouvré sa superbe.
Il fait passer son scénario à tous ses copains encore de la partie, Hervé Palud, Jean-François Davy, son vieux pote Jean Luisi, sorti de la routine peinarde de sa retraite corse. Jean-Marie écoute patiemment leurs conseils et les applique à son nouveau bébé : tous ses proches s’accordent à reconnaître qu’il s’agit sans doute de son meilleur script. Gonflé à bloc, il envoie une copie à son vieux pote Carradine. La traduction souvent approximative de Pallardy himself n’arrête pas l’acteur. Son emploi du temps est évanescent, et la promesse de tourner avec son camarade court depuis plus d’une décennie. Carradine se sent en dette vis-à-vis de Jean-Marie et saisit l’occasion de s’acquitter.
C’est son cadeau à l’ami français. En une visite au producteur turc intimidé, il s’amende selon les critères de loyauté de Jean-Marie. Carradine débloque le budget sur sa seule présence. Il accompagne même Pallardy à son troisième rendez-vous professionnel avec sa vieille camarade Florence Guérin. Muse du cinéma coquin des années 80, star de la soft adaptation du Déclic de Milo Manara, elle n’a pas tourné depuis l’accident de voiture lui ayant coûté la vie de son fils Nicolas, en 1998. L’horrible trauma la poursuit, a englouti sa vie dans une spirale dont elle ne cherche plus à sortir.
L’enthousiasme de ce bon vieux Jean-Marie et le calme serein de David finissent par avoir raison de ses réserves. Elle est de toute façon à court d’argent sagement économisé grâce à sa contribution à l’érotisation des masses – elle refuse fièrement toutes les aides que son entourage, inquiet, ne manque pas de lui soumettre. Seule elle s’est construite, seule elle finira. Son salaire est loin d’être mirobolant, mais le tournage n’a pas l’air d’être un plan foireux à la Jean-Marie, Carradine lui fait les yeux doux, et le rôle de mère porteuse lui fournit matière à exorciser ses démons.
Sur le plateau, l’équipe forme un cocon sécurisant pour Florence. Le premier rôle masculin, Pierre Dulat, en fait limite trop et surjoue sa virilité. Carradine sourit. L’ambiance est bon enfant, les journées tranquilles. Les techniciens turcs ravivent la flamme paillarde qui animait les plateaux de Pallardy dans les années 70. Le plus gaillard du lot s’amuse à égréner ses prouesses sexuelles à David Carradine, nullement impressionné. C’est à peine s’il tique quand il en vient à aborder l’asphyxie auto-érotique et l’éventail des meilleurs tissus pour s’étrangler. Pallardy met le holà, toujours soucieux de protéger sa môme Florence.
Comme prévu, The Donor est son meilleur film. Comme redouté, il galère pour le vendre. Le nom de David Carradine ne résonne plus suffisamment dans l’inconscient collectif. Jusqu’à ce qu’un freluquet du nom de Quentin Tarantino décide d’en faire le rôle-titre de son prochain projet, Kill Bill. Jean-Marie récupèrera deux morceaux de la bande originale et les casera dans le montage final, distribué dans les bacs DVD de France sous le nom de Femmes ou Maîtresses.
Je viens faire un tour tous les jours pour guetter l’apparition de chaque nouveau chapitre… C’est tout simplement génial. Pallardy est le baron Münchausen des cinéastes, je ne souhaite même pas essayer de démêler le vrai du faux, la lecture est trop jouissive.
Merci à vous, l’ultime chapitre tombera ce vendredi !
JMP scénariste des films de Palud. Je suis sur le cul !
Pareillement!
J’ai appris pleims de choses intéressantes en parcourant votre article.
Merci