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John-Mary (épisode 4)

By   /   29 novembre 2013  /   No Comments

 

Tout au long des semaines qui viennent, chaque vendredi, retrouvez sous la plume de Drexl l’histoire à peine romancée d’un cinéaste hors norme… L’histoire de Jean-Marie Pallardy.  

1974 – Journal érotique d’un bûcheron

 

 

Si le propriétaire de la plus grande auberge de Montfort-l’Amaury et le châtelain du coin accueillent et nourrissent gracieusement Jean-Marie et toute sa bande pour le tournage de son prochain film, c’est avant tout pour le plaisir de voir les belles et ingénues actrices se balader nues, batifoler gaiement dans la nature environnante et profiter, languides, de leur seul salaire, en nature également. En échange, les partouzes ne se font pas devant les invités.

Archambaud, le vieux notable qui leur ouvre les portes de son domaine, est en effet à cheval sur quelques principes. En préambule de leur accord, il invite Jean-Marie au château pour lui montrer sa faramineuse collection de films pornographiques de toutes les époques, en grande majorité constituée d’antiques bobines Super 8. Ils en regardent quelques-uns, des courts muets en noir et blanc où des prêtres dotés de conséquents engins besognent des bonnes sœurs concupiscentes.

La projection s’arrête, le châtelain met Jean-Marie en garde : « Je ne veux pas de ça chez moi  ». Le réalisateur y consent, mais ne peut s’empêcher de relever le paradoxe entre la demande et les films qui la précédaient. Son interlocuteur balaie la remarque d’un revers de la main, arguant que sa collection est unique au monde. Pallardy reste coi : il a affaire à un esthète.

Journal érotique d’un bûcheron (ou La Forêt aux mille désirs) est le témoignage vibrant de l’esprit bohème et de la philosophie alors purement hédoniste de Jean-Marie. Il y interprète Jean-Marc, le fils du professeur Muller (Georges Guéret), prix Nobel fatigué de sa vie harassante et aspirant à des vacances bien méritées. Ils se retirent donc à la campagne, où tout le monde couche avec tout le monde, tout le temps, généralement dans des chambres boisées et recouvertes de peaux de bêtes, tandis que la police rôde alentour, suspicieuse. On y folâtre aussi à cheval, à l’occasion.

Les scènes s’improvisent entre deux pique-niques champêtres, dégustations soutenues de pinard local, parties de jambes en l’air, ou les trois en même temps. Le résultat n’a ni queue ni tête, mais révèle l’état d’esprit de son auteur : il idéalise la campagne de son enfance en éden paillard, et tombe éperdument amoureux de Willeke, dont les apparitions à l’écran sont systématiquement sublimées par une bande sonore seventies dans le pire sens du terme. Les regards des deux amants lors de la scène de sexe finale ne trompent pas.

 Le jeune réalisateur découvre aussi une pratique qui ne lui sied que moyennement, mais à laquelle il se plie de mauvaise grâce pour les retombées financières : l’insert de séquences hard dans des films érotiques pour engendrer deux versions – et donc deux exploitations – du film. Malgré les menaces d’Archambaud, Jean-Marie fait donc appel aux services de Claudine Beccarie, star montante du X et future vedette d’Exhibition, ou de John Holmes, dont les fameux et tragiques 33 centimètres seront immortalisés dans Boogie Nights de Paul Thomas Anderson.

Trahi par le fait accompli, Archambaud ajoutera une copie Super 8 de La Forêt aux mille désirs à sa collection, mais ne la regardera jamais.

1975 – L’Arrière-Train Sifflera Trois Fois

& Règlements de Femmes à OQ Corral

Jean-Marie sait exactement comment pratiquer sa mécène, richissime rentière d’une fortune familiale construite sur le Champagne. Il fait durer chaque bise sur sa joue deux bonnes secondes, l’étreint plus fortement au changement de joue. Il s’assied juste à côté d’elle, sur le vaste canapé de son salon, fait traîner son genou pour frôler négligemment le sien. Il la laisse poser sa main sur sa cuisse chaque fois qu’il la fait rire, la prend par l’épaule, complice, joueur. Il la fixe droit dans les yeux pour le plaisir de lui faire baisser le regard.

Il a promis à Willeke qu’il ne coucherait jamais avec l’entreprenante sexagénaire, en dépit de toutes les faveurs qu’elle pourrait bien lui accorder. Sa bonne femme tolère les partouzes, les bordels, les concessions de son homme à la gangrène des scènes classées X ; la prostitution est sa limite.

Il a promis à Willeke qu’après ses deux prochains films, il arrêterait le cinéma érotique.

Pour l’heure, Jean-Marie se fait plaisir avec son genre cinématographique de prédilection et tourne coup sur coup deux westerns coquins, un nouveau meilleur copain dans ses bagages en la personne de l’attachant Jean Luisi, tronche oubliée du cinéma français des années 70 et 80.

Le premier film le fera entrer au panthéon des meilleurs titres jamais imaginés. Dans L’Arrière-Train Sifflera Trois Fois, Jean-Marie campe le fringant lonesome cowboy John Keykett, tenancier de saloon débonnaire épaulé de son fidèle Billy le Bid (Jean Luisi) et de Lulu (la gironde Alice Arno), l’unique prostituée du coin. Lorsque cette dernière craque sous la pression sociale, John prend sur lui d’engager les nymphomanes sœurs Daltines, tout en bataillant mollement avec son trouble pour l’institutrice moralisatrice Lucky Lucky (Willeke), qui le provoquera en duel « pour la cause ». On y relève également la présence, fugace mais marquante, d’un cowboy noir musulman.

Devant la caméra, Jean-Marie regagne encore un sursaut d’assurance, roule crânement des mécaniques, le cheveu long mais discipliné, tout torse athlétique dehors lors d’une baston avec des Indiens aux perruques grotesques. Derrière la caméra, c’est toujours l’anarchie, le règne de l’arbitraire visuel, un chaos debout qui n’a d’égal que le foutoir d’un scénario prétexte à des scènes de groupes en roue libre, ou des clins d’œil grivois à la mythologie de l’Ouest.

 La trentaine flamboyante, Pallardy est sur son nuage et se dit qu’il est mûr pour sortir de la pantalonnade débraillée. Ce virage artistique se fera très en douceur avec son deuxième western, Règlements de femmes à OQ Corral. Ou Les Sept Partouzards de l’Ouest ou Viols dans la Sierra, pour des futures versions hard dont Jean-Marie refusera de tourner les scènes “de complément“.

Il n’y joue qu’un énigmatique second rôle d’Indien isolé. Le ton est plus sérieux, les scènes de sexe beaucoup moins présentes dans la version approuvée par l’auteur – on a tout de même droit à l’une de ces saillies sur cheval au trot que Pallardy apprécie tant. Willeke bénéficie une nouvelle fois d’un traitement esthétique de faveur, femme forte et indépendante ne s’en laissant pas compter. Le menton fier et relevé à la Charlton Heston, elle lorgne son homme d’un amour total.

 

1976 – La Donneuse

Jean-Marie est aux anges. Ses westerns ont cartonné en salles, les différentes versions se sont arrachées au Marché du Film cannois, où il parade désormais tel un émir saoudien. Il est en place, à quelques foulées du tapis rouge, des photographes, des badauds qui hurleraient son nom à s’en exploser les cordes vocales.

 Depuis le début de l’année, industriels et artisans du cinéma coquin sont marqués du sceau de la marginalité. Durant les vacances de fin d’année, quand personne ne faisait attention, le gouvernement Chirac a introduit le classement X dans sa loi de finances de 1976. Paie ton cadeau : les films érotiques sont plus lourdement taxés, et les salles qui les diffusent se voient refusées toute subvention publique.

Sous la pression de bigots, notables et autres bourgeois hypocrites, probablement aussi coutumiers des partouzes que Jean-Marie, Jacques a donc cédé. Pourtant il l’aime bien, le Chirac. Beau gosse, classe, élégant, proche des petites gens, qui ne renie jamais des origines corréziennes et s’en vante même à tour de bras. Mais là, faut bien avouer qu’il a fait son social-traître, comme dirait ce foutu gauchiste de José Bénazéraf;

Ledit Bénazéraf, enfant bâtard de la Nouvelle Vague arrivé au cinéma et au porno en autodidacte, affrontera à de multiples reprises cette censure qui n’osait pas vraiment dire son nom. D’autres pornocrates banaliseront les méthodes commerciales de Pallardy. Jean-Marie, lui, tente la sortie par le haut.

 La Donneuse est son meilleur script. Une belle histoire d’amour entre un chef d’entreprise super compétent (Jean-Marie, évidemment), respecté de ses ouvriers et aimé de tous sauf de son ingrate de femme, et sa future mère porteuse hollandaise (Willeke, forcément). Pallardy s’écrit des monologues brassant toutes ses pensées du moment sur la vie, la mort, les femmes, les gosses, les chiens. Willeke y est somptueuse, leurs scènes communes saisissantes de vérité. Lors d’une séquence de retrouvailles, près d’un moulin cerné de tulipes (en Hollande, quoi), Jean-Marie craque et improvise un plan circulaire en caméra portée autour des deux amants. Lelouch n’est pas loin.

Même ce bon vieux Rutger Hauer est de la partie. Sous la pression écrasante de son impayable frenchy, il accepte une apparition dans le film. Il entre dans un bar, se sert une bière et puis s’en va. Une apparition, vraiment. Son nom sera tout de même en haut de l’affiche.

Willeke est folle de joie, et fière de son homme comme jamais. La Donneuse a de la gueule. Mieux filmé, écrit et joué que tous les précédents films de Jean-Marie, le film peut le faire sortir du cercle vicieux de l’érotisme et de tous les démons qu’il charrie. Elle en est sûre. Il en est sûr aussi.

La commission de classification des films, elle, n’est pas de cet avis. Pas du tout. Tout juste déballée des cartons de la loi X et constituée de vieux critiques frustrés et d’obscurs professionnels à la retraite, l’assemblée entend donner dans le zèle pour justifier son existence. Pallardy servira d’exemple. A elle seule, la scène d’avortement suffit à disqualifier le film de toute obtention de visa. La France giscardienne n’a pas besoin qu’un pornographe du dimanche vienne lui donner des leçons de morale crapoteuses.

 La Donneuse est classé X, en attendant d’éventuelles coupes que Jean-Marie refuse, encouragé par sa Willeke. Il ne cède pas, fier, intransigeant, tellement beau dans l’adversité, tellement digne dans les yeux de sa belle. Les exploitants sont malheureusement formels : un film X sans scènes érotiques, déjà, c’est absurde. Et surtout, ça n’attirera personne.

Dans le dos de la femme de sa vie, Jean-Marie tourne des scènes hard, insérées de force dans un récit qui n’en demandait vraiment pas tant. Le film se vend enfin. Pour Willeke, voir sa déclaration d’amour ainsi souillée relève de la trahison totale. Comme si, juste après l’avoir courtisé comme une princesse, Jean-Marie lui crachait subitement au visage. Elle ne lui pardonnera jamais. Elle part pour ne plus revenir.

 

L’Amour chez les Poids Lourds

 

Sans elle, le nid d’amour est vide. Jean-Marie trépigne, défonce régulièrement les meubles et les murs pour se calmer – les voisins attendent très poliment que ça lui passe, avant de regagner leur sens de la chose commune en le virant de l’immeuble. Qu’importe. Pallardy n’a besoin de rien, ni de personne. On lui fait comprendre que l’ensemble de la profession ne veut plus entendre parler de lui et de ses innombrables chèques en bois, arnaques de production et coups fourrés lascifs ? Pas de problème, il se rend en Italie, fait le beau, et dégage des fonds en un rien de temps pour son prochain film ; une libre, très libre adaptation de L’Odyssée d’Homère. Willeke s’entête de mule, ne veut même plus lui parler ? Pour bien lui montrer qu’il peut se débrouiller sans elle, il recrute la petite starlette Elizabeth Turner – un vague sosie de son ex muse et compagne, qu’il prend un soin maniaque à maquiller, coiffer, habiller et diriger exactement comme Willeke. En bonne professionnelle, Turner se plie sans broncher aux demandes du réalisateur, et fait même du mieux qu’elle peut pour ne pas prendre comme une insulte ses suggestions en matière de chirurgie esthétique.

Beau comme un camion, Jean-Marie s’octroie le rôle principal d’Ulysse, chauffeur de poids-lourds bon pied bon œil, de retour vers sa chère Pénélope. Son compagnon de route, le débonnaire Jeff, les entraîne tout droit dans les griffes des sirènes et de leur maîtresse Calypso, incarnée par l’actrice Ajita Wilson (également connue sous les noms de L’Aphrodite Noire ou de George Wilson, avant son changement de sexe au milieu des années 70). Très vite, enfin, au bout d’un quart d’heure de barbotage crapuleux dans la piscine avec la sculpturale Calypso, Ulysse se confie à Jeff. Il n’en peut plus « de tringler matin et soir, pendant les repas, la sieste, sans jamais reprendre haleine ». Les deux aventuriers s’en vont au volant de leur gros camion.

De son côté, au relais routier Truck Stop, Pénélope attend patiemment le retour d’Ulysse et divertit les nombreux routiers surexcités de son établissement à coups de jeux érotiques, de gags rabotés jusqu’à la corde, de bagarres désorganisées et d’esquisses de partouzes champêtres. Ulysse manque se faire violer par une massive cyclope de station-service, mais revient finalement à bon port, dans l’allégresse générale.

Une grosse moitié du film est improvisée entre deux gueuletons en plein air, dans cette atmosphère dionysiaque que Jean-Marie aime tant. Tous ses potes sont de la partie : Guéret, Insermini, Luisi, et même cette tronche de cake de Mike Monty, mercenaire en devenir de la série Z philippine, qui ne pane qu’une poignée de mots en français, à la plus grande hilarité de l’assemblée. Tant que les filles lui sourient et que le pinard coule à flot, Mike approuve.

1996

 

Willeke van Ammelroy ne supporte plus les blagues de Whoopi Goldberg. Elle a l’impression que la cérémonie dure depuis des heures et des heures. Sa robe de soirée a beau épouser magnifiquement son corps, elle n’arrête pas de dandiner sur son siège. Anxieuse jusqu’à la nausée, elle ne supporte plus les rires forcés autour d’elle. Dans son esprit tourne en boucle cette dispute avec Jean-Marie, quand elle cherchait encore à se défaire de son emprise ravageuse. Elle lui quémandait plus de liberté pour tourner des vrais films, des grands films, des films d’auteur, qui sait, des films à Oscars… Pallardy, piqué au vif, l’avait ou ne l’avait pas giflé, son souvenir est trouble. Ses mots furent tellement blessants qu’à la limite, whatever. « Vas-y, va les gagner tes Oscars. Mais va falloir coucher pour ça, et pas qu’un peu. Et beaucoup, beaucoup mieux que ce que tu me fais subir. T’es peut-être une bonne actrice, mais pas une grande actrice. Ça, je le sais ».

 Des milliers de florins en thérapie et un mariage plus tard, les mots font toujours aussi mal. Willeke les porte en elle, gravés au plus profond de sa psyché d’artiste. Aujourd’hui, maintenant, le poids peut s’envoler, si quelqu’un voulait bien se décider à passer à la catégorie du Meilleur Film Etranger.

Elle transpire, n’arrive plus à rester concentrée. Elle se tortille, n’en peut plus. Le moment attendu est ENFIN là. Whoopi Goldberg appelle un humoriste américain que Willeke ne connaît pas – à vrai dire, elle s’en fout PASSABLEMENT et prie intérieurement pour qu’il abrège son numéro. Les extraits des cinq films en lice défilent. And the award goes to, silence, déchirement d’enveloppe, temps de silence savamment calculé… Antonia et ses filles remporte l’Oscar du Meilleur Film Etranger.

 Le corps de Willeke se relâche instantanément, elle pleure de chaudes larmes de joie, guette la réalisatrice, Marleen Goris. D’un signe, celle-ci l’invite à l’accompagner sur scène. En une fraction de seconde, Willeke redevient pro, l’émotion contenue, le port de reine. Up yours, Jean-Marie.

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