Loading...
You are here:  Home  >  Autour du nanar  >  Current Article

John-Mary (épisode 5)

By   /   2 décembre 2013  /   1 Comment

 

 

Tout au long des semaines qui viennent, chaque vendredi, retrouvez sous la plume de Drexl l’histoire à peine romancée d’un cinéaste hors norme… L’histoire de Jean-Marie Pallardy.  

 

1977 – Le Ricain

Dans sa tranquille retraite des Vosges, Pierre Pelot ne sait pas trop à quoi s’attendre. Le coup de fil du matin l’a laissé perplexe : le type a lu un seul de ses romans de la saga western Dylan Stark, et veut débouler chez lui, de Paris, pour lui demander d’écrire son prochain scénario. Curieux, l’auteur accepte.

En attendant son arrivée, il compulse frénétiquement ses innombrables revues de cinéma. Pallardy, Pallardy… il est persuadé d’avoir déjà vu ce nom quelque part. Deux heures de recherche infructueuse plus tard, Pelot agrandit ses recherches aux chroniques de films érotiques : bingo. Il tombe sur deux critiques adorablement mitigées du Dossier érotique d’un notaire et de L’Arrière-train sifflera trois fois. A la grâce de son tempérament joueur, sa curiosité s’aiguise.

Les pneus font crisser le gravier. Dès que le moteur s’arrête, des aboiements prennent le relais sonore, à mesure égale. Un impossible personnage fait son entrée dans le salon, après avoir repoussé la porte telle celle d’un saloon, un colossal landseer à ses basques. Bronzé à la perfection, le sourire et l’œil vif, drapé dans un gigantesque manteau de fourrure, une couverture sous le bras, Jean-Marie empoigne Pelot de sa main libre et l’attire amicalement contre lui. Stupéfait, l’écrivain se laisse faire.

 Après un bon verre de rouge et les amabilités d’usage, l’invité entre dans le vif du sujet. Il a déjà l’idée de base : un gosse au père absent sympathise avec l’homme qui l’a kidnappé. Pour le paiement, il a déjà ramené une avance avec lui.

-  Tu collectionnes les armes, pas vrai ?

-  Euh oui, exact mais… pourquoi ?

Jean-Marie prend sa couverture, la déploie sur la table, révèle deux splendides mousquets du XIXe siècle, en état de conservation impeccable.

***

Charles Allen Pendleton doit sa cinquantaine insolente à son hygiène de vie irréprochable. Pas d’alcool, pas de tabac, pas d’orgie intempestive, et des exercices physiques réglés à cadence métronomique. Pour ce qui est de son flegme olympien, il le doit aux échos de ses multiples vies.

Prisonnier pendant la Seconde Guerre Mondiale, prof pour délinquants juvéniles de Los Angeles, troufion de la Guerre de Corée, ça fait déjà un bon background. Charles commence à faire parler de lui en participant activement à l’essor du bodybuilding sur les plages de Santa Monica – le virus devait se propager à vitesse grand V à travers le vaste pays. Avec son meilleur ami Joe Gold, vétéran des deux mêmes guerres que lui, il constitue un cercle d’initiés, de suppôts dévoués à la culture physique.

Dans les années 50, la discipline ressemble encore à une philosophie de vie. Une quête de salubrité absolue, à peine parasitée par le culte du corps et la complicité un peu trop virile entre athlètes – finalement, une grosse claque sur le cul ne semble pas si équivoque quand on est en plein dépassement de soi.

 Les boys courent les castings de pub, les auditions hollywoodiennes. Charles et Joe obtiennent le privilège de porter Charlton Heston aux pieds du pharaon Yul Brynner dans Les Dix Commandements. En bons culturistes, ils en veulent toujours plus.

Sur l’impulsion pressante de mister Gold, la troupe des biceps, triceps et quadriceps décolle pour Las Vegas afin d’y dévoiler ses talents à Mae West. Accusant merveilleusement ses six décades au compteur, l’éternelle sex symbol a toujours du coffre et de l’allure, et vient de signer pour plusieurs mois de représentations au nightclub Sahara – renouvelables à satiété. Il lui manquait justement un je-ne-sais-quoi pour le spectacle : une dizaine de bodybuilders en toute, toute petite tenue feront admirablement l’affaire. Pour une fois, le public féminin de Las Vegas sera honoré, et répondra d’ailleurs en masse.

 Charles, Joe et leurs commensaux se font une joie de mettre la star en valeur. Robe semi-transparente, dos nu, décolleté insolent, coiffe délirante, West minaude, se fait choyer, porter en impératrice par ses messieurs muscle visiblement sous le charme. A quelques jours de la fin du premier contrat, Charles erre sur le strip de Vegas comme il en a pris l’habitude. Sur un coup de tête, il bifurque dans les rues adjacentes et s’y perd pendant de nombreuses heures. Il s’arrête dans l’un des innombrables strip bar de troisième zone que love en son sein le centre de la Sin City, commande une bière qu’il ne boira pas. Face au bouge, l’échoppe d’une diseuse de bonne aventure – tant qu’à expérimenter… Charles n’est pas dupe des manèges de la voyante, même s’il lui reconnaît un certain talent. Elle lui prédit une grande carrière cinématographique sous le nom de Gordon Mitchell, avant de lui demander 20 dollars. Charles attendait un signal : ça fera l’affaire.

 De retour sur les plages de Santa Monica, Charles s’entraîne plus dur que jamais. Il répond sans trop y croire à une annonce passée dans son club de gym pour tourner des péplums en Italie. Six mois plus tard, le téléphone sonne : un billet d’avion et une coquette avance vont lui être envoyés, il est attendu pour faire ses essais à Rome. La dernière chanson qu’il entend en quittant le sol américain, Arrivederci, Roma, est également la première qui l’accueille à l’aéroport en Italie. Cartésien par essence, Charles se met subitement à voir des signes partout.

 Devenu Gordon Mitchell pour mieux accomplir sa prophétie, il enchaîne les tournages. Maciste contre le Cyclope, Le Géant de Métropolis, La Bataille de Corinthe, Jules César contre les Pirates… Alors qu’il avait programmé son retour au bout de sept semaines de tournage, il ne s’arrête plus. Sa filmographie gonfle à vue d’œil. Charles / Gordon est un garçon discret, aimable, qui ne fait jamais de vagues (contrairement à bon nombre de ses collègues), et s’épanouit donc dans l’ombre des étoiles filantes du cinéma d’exploitation italien. En 1970, fortune faite, il risque tout dans un projet insensé : transformer un lopin de terre en Western Town, un studio de cinéma à ciel ouvert. Plus de 150 films s’y tourneront, assurant une bonne retraite au bon Gordon, qui ne tourne plus que selon son bon désir.

Cette année-là, au festival de Cannes, Mitchell est l’une des innombrables proies d’un Jean-Marie tout feu tout flamme, VRP en surrégime de son nouveau projet. A ses basques, un Jess Hahn passablement aviné, la tête papillonnant autour des deux « copines » de l’entourloupeur. L’acteur américain, venu passer la fin de sa carrière dans le calme apaisant des terres bretonnes, a succombé au bagout de Jean-Marie en un quart d’heure, montre en main.

Gordon, lui, s’est fait alpaguer alors qu’il prenait un café en terrasse, à des lieux de l’effervescence de la Croisette. Indécrottable naïveté de la star se pensant à l’abri derrière ses lunettes de soleil. Il a tout juste le temps de reconnaître Hahn, d’esquisser un sourire pour accueillir son ébriété manifeste, que Jean-Marie est déjà sur lui. Il lui empoigne la main, s’assied, commande un petit blanc quasiment dans le même geste.

Des escrocs, Gordon / Charles en a vu défiler. Des boniments, il en a entendu. Dans sa catégorie, Jean-Marie assure – chose rare, il croit vraiment à son projet, dont le pitch n’est pas plus con qu’un autre, loin s’en faut. En fait, Charles l’aime bien, cet embobineur. Nul besoin de le séduire à coups de petits blancs ou de poulettes peu farouches, il a toujours été au-dessus de ces passe-temps showbizznesques. La journée s’annonçait morne, la tornade Jean-Marie lui a donné un vigoureux cachet, drôle, bon enfant et communicatif – le réalisateur sait s’adapter à chaque personnalité rencontrée.

Le lendemain, l’acteur redevient Gordon Mitchell et s’en va présenter Jean-Marie à des investisseurs turcs de sa connaissance, repliés du bruit et de la vulgarité festivalière du haut de leur yacht rutilant. Dans un premier temps, le mogul Türker Inanoglu ne serre même pas la main du réalisateur : dégoûté par l’essor de l’érotisme jusque dans les productions de son pays, il refuse catégoriquement de s’associer avec l’un de ses artisans français. Pallardy plaide sa cause, abonde d’un air triste à chaque remarque du financeur : Gordon sourit et laisse le charme agir. Le frenchy est bon, très bon, même.

Au terme d’une heure de conversations à bâtons rompus, Inanoglu fixe ses conditions. Son fils Ilker tiendra le rôle du gosse kidnappé. Aucune nudité ne devra affleurer. Des assistants s’assureront de la bonne tenue du tournage, et du respect des normes esthétiques mélodramatiques si chères à son petit cœur de garant des traditions. Jean-Marie acquiesce docilement. Il pose un pied hors du cinéma érotique, et se croit déjà sorti du bassin.

***

La première copie de scénario rendue par Pierre Pelot se tient, mais Jean-Marie tient à la remanier à sa sauce – y compris en plein tournage. C’est son bébé, le film qui prouvera à la face du monde, au CNC, à la commission de classification et surtout, à sa Willeke qu’il vaut bien mieux que le ghetto cinématographique dans lequel on essaie de le parquer.

 En assumant le rôle principal, il lui donnera plus d’ampleur tragique. Les différents protagonistes seront tous plus ou moins reliés entre eux par des liens familiaux, aux cruels dépends de toute cohérence. Le deal de cocaïne qui fera tomber le Ricain éponyme (Jess Hahn) s’opèrera en planquant la dope dans des patates. Gordon Mitchell arborera une marinière dans toutes ses scènes. Le film s’achèvera sur l’énigmatique carton « Les enfants n’ont pas demandé à vivre », que seul Jean-Marie pourrait expliquer s’il s’en donnait seulement la peine – pas le temps, ni l’envie : l’écriture, la création, tout ça, ça va, ça vient.

 1993

Jean-Marie est furieux. Il avait des doutes avant d’entrer dans la salle : une histoire de gamin kidnappé qui s’attache à son ravisseur… non, c’est pas possible, Clint – SON Clint – ne peut pas avoir fait ça. Et pourtant. Même les cowboys n’ont plus d’éthique.

Les dialogues ont été changé, des scènes coupées, d’autres rajoutées, des sous-intrigues envolées, mais c’est SON script. Il le sait. L’histoire est la même, la fin aussi. Un monde parfait, mon cul, c’est Le Ricain qu’il vient de voir. Plus exactement, le scénario du remake qu’il devait tourner avec Michael Dudikoff pour la Cannon.

Bon, dans un premier temps, Pallardy avait plutôt pensé à Jean-Claude Van Damme pour reprendre le rôle qu’il tenait dans le film original. Grâce aux contacts de Gordon Mitchell dans la sphère étanche de la culture physique californienne, il repère l’acteur au bout de deux jours, l’attend à la sortie d’un restaurant. Il l’entreprend à la hussarde, et les muscles from Brussels se laissent faire pendant deux petites minutes avant de couper court : Van Damme vient de trouver le producteur qui financera sa première mise en scène, The Quest, qu’il est en train d’écrire. L’homme de Bloodsport a les yeux qui brillent quand il parle de son projet, Jean-Marie comprend qu’il n’a aucune chance.

Le mécène providentiel de Van Damme, un certain Christophe Rocancourt, fils du producteur italien Dino de Laurentiis si l’on en croit ses dires, fait visiblement semblant de téléphoner dans son portable depuis la sortie du restaurant. Il honore Jean-Marie d’un vague regard et d’un geste de la main encore plus vague. Plongé dans sa conversation imaginaire, Rocancourt laisse échapper quelques infâmes sourires. Pallardy ne le sent pas.

Michael Dudikoff, action star impavide des années 80, en était à son quatrième épisode de la série American Ninja, et applaudissait à tout rompre à chaque fois qu’on lui proposait autre chose. En voyant débarquer le Français dans son home sweet home, son imagination s’emballe. Il pense sensibilité européenne, il pense Nouvelle Vague, il pense Les Cahiers diou Cinéma, il pense reconversion spectaculaire et chance de dévoiler sa palette de jeu. Il lit le scénario en diagonale, et le balance sur le bureau du producteur Menahem Golan en affirmant qu’il s’agit de son prochain film.

Pour faire plaisir à son poulain, le co-créateur du Cannon Group achète le script une bouchée de pain, et le laisse dormir tranquillement. Trois ans plus tôt, Jean-Luc Godard s’est copieusement foutu de sa gueule sur sa production de King Lear, l’a humilié devant toute la profession. Il ne se laissera pas enfiler par un autre Français – un pornographe, qui plus est ! Golan prend même un malin plaisir à appeler lui-même Pallardy au téléphone tous les deux mois, pour lui apprendre que le tournage est encore décalé.

Avec son partenaire et (cousin) Yoram Globus, ils ont régné en maître sur le cinéma d’exploitation des années 80. La Cannon a découvert Michael Dudikoff et Jean-Claude Van Damme, elle a fait de Chuck Norris un dieu, de Charles Bronson une icône républicaine. Entre deux Portés Disparus, Delta Force ou Justicier dans la ville, la Cannon se la joue en produisant des œuvres de John Cassavetes ou Barbet Schroeder. La cour des grands, ou pas loin.

Arrivent alors les années 90, et leur terrible cortège d’échecs commerciaux, de paris stupides, de tentatives désespérées de renouer avec les formules d’antan. Le marché a changé, les contrats ne se signent plus sur des nappes de restaurant comme avec cet enfoiré de Godard, les défricheurs d’hier sont les ringards d’aujourd’hui. La Cannon s’effondre, croule sous les dettes. Golan et Globus écopent du mieux qu’ils peuvent, vendent à tour de bras, une fois, deux fois, trois fois les mêmes scénarios à des studios différents. Celui du Ricain échoue chez MGM, dans une vente de scripts au gros.

Jean-Marie est convaincu qu’on lui a volé son idée. Qu’un scribouillard amerloque l’a retapé juste ce qu’il fallait pour que personne ne soupçonne la supercherie. Ces fils de pute font ça tout le temps, ils se croient au-dessus de tout. Et si l’on a le culot de se plaindre, ils ont des palanquées de baveux dressés pour l’obstruction judiciaire. Demandez donc ce qu’en pense Yves Boisset : ça fait maintenant trois ans que le réalisateur du Prix du Danger essaie de les faire cracher pour ce gros plagiat qu’est Running Man – la Cour de Cassation lui donnera finalement raison.

Aucun respect. Ces types n’ont aucun respect. Jean-Marie bouillonne. A l’usure, il finit par persuader son vieux copain Jean-François Davy de lui payer une Rolls d’avocat et de lancer la bataille juridique. Celle-ci durera dix ans, et se soldera par un rejet de la plainte en première instance. Davy ne cédera pas : non, ils ne feront pas appel.

    Print       Email

1 Comment

  1. marc dit :

    la foret aux milles désirs aka le bucheron
    et d’autres sur movinside.com

Répondre à marc Annuler la réponse.

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *


*

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>