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The Disaster Artist, le livre-témoignage sur The Room

By   /   21 mars 2014  /   5 Comments

En Octobre 2013 est paru en anglais un livre-témoignage de Greg Sestero, un des acteurs principaux du renversant « The Room », qui s’épanche sur les conditions de tournage très particulières de ce nanar hors normes, ainsi que sur ses liens d’amitié avec son réalisateur et acteur principal, le fantasque Tommy Wiseau. En complément de l’interview combinée de Wiseau et Sestero que nous publions, Drexl nous propose une critique de l’ouvrage.

« The Disaster Artist : My Life Inside The Room, The Greatest Bad Movie Ever Made »
De Greg Sestero & Tom Bissell

La plus grande énigme de The Room, au-delà de sa structure chaotique, de ses incohérences manifestes et de sa production design d’une autre planète, demeure avant toute chose son maître d’œuvre, le mystérieux producteur, scénariste, réalisateur et acteur principal Tommy Wiseau. Qui est-il, d’où vient-il, quel est son projet, d’où proviennent ses fonds, vient-il en paix ? L’ouvrage de Greg Sestero, producteur exécutif du film, interprète de (« Oh, hi ») Mark et meilleur ami de Tommy, tente si ce n’est de répondre à toutes ces questions brûlantes, du moins de leur apporter l’éclairage de sa propre expérience.

Evacuons d’emblée le négatif : la structure schizophrène du livre, alternant chapitres sur le tournage de The Room et l’expérience personnelle de Sestero en tant qu’acteur émergent dans un Hollywood impitoyaaaaa-âbleuh, tire de plus en plus à la ligne au fur et à mesure de la lecture, et peine à se justifier au travers de ses concordances forcées – il n’est pas certain qu’un réassemblage chronologique eut été plus pertinent, mais le procédé se révèle frustrant plus souvent qu’à son tour. Comme si l’auteur n’avait pas suffisamment confiance en son matériau, et se sentait obligé de le bousculer pour relancer l’intérêt.

Greg Sestero.

Pourtant, son récit est aussi fascinant lorsqu’il évoque le lot quotidien des aspirants acteurs confrontés à la dure réalité de l’usine à rêves californienne que dans sa description sans fards de la folie de Tommy Wiseau, vampire autoproclamé à la fortune indéterminée, à la fois égocentrique sans recul et boule de manque de confiance en soi se projetant dans le succès des autres pour se donner une consistance. Quant aux évocations du tournage cataclysmique de The Room, les fans comme les novices en sont pour leurs frais : la légende est pour une fois en deçà de la vérité rapportée par les auteurs.

Juliette Daniel, Tommy Wiseau et Greg Sestero.

L’énigme Wiseau ne se révèle que par à-coups, au travers de ses actions. En l’occurrence, celles d’un manipulateur malgré lui, mentant sur son âge et s’entourant de jeunes gens pour moins subir les outrages du temps, jetant son dévolu sur le jeune Greg Sestero (à la plus grande – et légitime – horreur de la mère de ce dernier) pour embrasser ses rêves de cinéma. Il faudra attendre la fin du livre pour recueillir un semblant d’interprétation sur les origines du Disaster Artist, en fait de simples supputations à partir des indices disséminés par celui-ci, avec force détails contradictoires et sujets à caution.

Tommy Wiseau, jeune.

L’individu connu sous le nom de Tommy Wiseau aurait ainsi grandi dans un pays satellite de l’ex URSS, où sa passion précoce pour les icônes hollywoodiennes l’aurait mis au ban de ses concitoyens puis de sa famille. Il aurait migré à Strasbourg, se serait fait exploiter sans vergogne par un restaurateur local (du nom de Thénardier ? l’histoire ne le dit pas), se serait fait héberger par un vieil homme désireux de coucher avec lui, aurait été maltraité par des policiers qui l’auraient tabassé, déshabillé et relâché après deux rounds de roulette russe. Rebaptisé Pierre, puis Thomas, il aurait fui à Paris, survécu de quelques boulots indéterminés à Pigalle avant de rejoindre un oncle à la Nouvelle-Orléans.

Émancipé de force de sa tutelle familiale, il trouve refuge à San Francisco, et survit en vendant des yoyos et des oiseaux en plastique aux touristes. Le voisinage le gratifie du surnom de « Birdman », il en fera son patronyme : Thomas devient Tommy, Oiseau devient Wiseau, pour des raisons de prononciation anglophone. La suite est encore plus floue : de fil en aiguille, ses talents dans le domaine de la vente l’auraient mis à la tête de la chaîne vestimentaire Street Fashions USA, lui auraient permis d’acheter plusieurs immeubles et de se construire une fortune décrite par son banquier comme « un puits sans fond ».

Greg Sestero rencontre Tommy Wiseau à un cours d’acting de San Francisco, où la radicalité crasse de son jeu provoque déjà les lazzis de ses congénères ; en particulier lors d’une réinterprétation toute personnelle de la scène-clé d’Un Tramway Nommé Désir, au gré de laquelle le futur Johnny se borne à ne répéter que les fameux « STELLAAAAAAAA » immortalisés par Marlon Brando. Les deux comédiens sympathisent à l’issue d’une scène péniblement jouée à deux : avec la désarmante naïveté de ses 19 ans, Greg confie vouloir s’installer à Los Angeles pour tenter sa chance. Ça tombe bien : Tommy possède un appartement sur place, qu’il peut lui sous-louer. Sestero accepte, sans se douter que vont s’ensuivre plusieurs années d’une relation plus ou moins amicale, dévorante, et profondément anti-initiatique pour le jeune homme.

Car si personne n’a encore réussi à prouver que Wiseau est ou n’est pas un vampire, le livre de Greg Sestero l’établit en tout cas comme un authentique incube : à peine installé dans son appartement, le jeune acteur voit ses appels écoutés, son courrier ouvert, ses démarches professionnelles décortiquées par Tommy, qui les reproduira avec un mimétisme ouvertement flippant, quand il ne congédie pas, par pure jalousie, les quelques connaissances que Greg parvient à se faire sur place. Au bout d’un an, le jeune acteur voit Le Talentueux Monsieur Ripley d’Anthony Minghella, et fait immédiatement le parallèle entre Wiseau et le personnage de Matt Damon. Trop tard. Tommy revient avec une proposition que Sestero ne peut pas refuser : moyennant un généreux salaire (et une nouvelle voiture en option), il sera producteur exécutif (et acteur, mais il ne le sait pas encore) sur The Room, le script que Wiseau vient de rédiger.

Puisque la cité des anges refuse de lui donner sa chance, le Birdman a en effet suivi les conseils de son dernier professeur d’acting en date, Drew Caffrey (crédité au générique de The Room comme producteur et directeur casting… à titre posthume) : « Be the star. Make yourself the star. Don’t think about anybody else ». Dont acte ; Wiseau créera son propre tremplin, à sa propre gloire, nourri de ses propres expériences – et en particulier de son amitié avec Greg Sestero. Doté d’un budget a priori illimité, lui permettant notamment d’acheter son propre matériel 35mm et HD, de se payer une cabine personnelle avec salle de bain intégrée ou de reconstituer un décor de toit sur un parking, personne ne peut plus l’arrêter.

Le fameux système de tournage à 2 caméras (35mm et HD).

Ni les changements de casting impromptus, ni les trois directeurs de la photographie successifs, ni son incapacité chronique à retenir ses répliques les plus simples, ni les incessants problèmes de continuité qu’une équipe effarée ne manque pas de lui souligner beaucoup plus souvent qu’à son goût. Le tournage de The Room est un naufrage d’un bout à l’autre, son capitaine un bidouilleur lunatique espionnant ses troupes via les rushs du making of commandité par ses soins, qu’il regarde chaque nuit jusqu’au petit matin, quitte à arriver systématiquement quatre heures en retard sur le plateau.

C’est au cœur de ces scènes qu’émerge l’autre grande limite de The Disaster Artist : Greg Sestero et son coauteur accumulent les connivences faciles avec le lecteur, des clins d’œil au futur culte du film qui n’ont pas franchement leur place dans le récit et parasitent la lecture. Un écueil d’autant plus blâmable que la distance qu’il instaure est factice, et détache artificiellement Sestero de sa propre autobiographie, le ravalant de fait au rang de témoin passif, en déni de responsabilité de l’aberration artistique en gestation. Tour-à-tour intrigué, fasciné, épuisé, dégoûté, affligé par Tommy Wiseau, le narrateur rejoint finalement la cohorte des personnages secondaires de son récit.

L’enjeu véritable de l’ouvrage se dévoile alors. En fait de récit classique détourné – le comédien lambda de Los Angeles accédant aux feux de la rampe grâce à un échec cuisant – The Disaster Artist est l’appel au secours d’un homme prisonnier d’une amitié aliénante comme d’un film qu’il n’assumera jamais. Avalé dans la nébuleuse d’un mystère plus gros que lui, Greg Sestero sait qu’il risque de vivre dans son ombre jusqu’à son dernier souffle. Il se sait condamné, et nous regarde de l’autre côté des barreaux de sa cage, les yeux gonflés d’espoir.

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About the author

Né en 1980, rédacteur de Nanarland depuis 2001, vidéovore chevronné, vit et travaille à Grenoble comme monteur vidéo.

5 Comments

  1. cmd-R dit :

    Au final j’ai l’impression que c’est ultra glauque cette histoire…

  2. Drexl dit :

    Plutôt, oui. Mais finalement pas autant que redouté, et, dans l’absolu, c’est surtout triste.

  3. Forothangail dit :

    Immédiatement je me suis dit « tiens, on dirait que certains veulent profiter de « l’anti-culte » de The Room…il semblerait que je ne me sois pas trompé.
    Ce serait presque intéressant de décortiquer le livre comme une psychanalyse, pour comprendre où l’auteur n’assume pas, cherche à « profiter » de cet intérêt bizarre pour ce film…

  4. Bertrand dit :

    Je ne vois pas comment un type aussi désaxé aurait pu devenir patron de chaîne. J’opterais pour des origines plus louches à sa « fortune »…

    Article bien rédigé et fort intéressant.

  5. Sid dit :

    La fortune de Wiseau, sa mégalomanie, pourquoi il a fait ce film et surtout «pour quoi» (en deux mots), on ne le saura probablement jamais. Le personnage joue de son mystère, à mon avis. C’est comme ça que le mythe devient légende. Wiseau veut-il passer à la postérité ? Probablement.

    Quoi qu’on pense du personnage, de son égo ou du caractère potentiellement clinique de sa personnalité, j’espère qu’on arrivera à dépasser le culte et «l’anticulte» de ce film, nourri de cette ironie post-moderne. Au-delà des articles rigolos, les rédacteurs de Nanarland ont une véritable affection pour le nanard, mais d’autres prennent le rire pour excuse afin d’afficher leur mépris voire leur hostilité ouverte. Avec tous les abrutis du web, j’espère que tous ceux qui ont été mêlés de près ou de loin au film éviteront les vagues de haters et autres trolls.

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